Entre l’Afrique et l’Europe, le choc des cultures a frappé une fois de plus. Élodie, coopératrice au développement, était partie en Afrique, plus précisément au Burkina Faso. Elle était logée et nourrie dans une famille qui fait partie de la classe moyenne burkinabé.
Un dimanche, les deux parents, Hortense et Lazare, étant de sortie et elle-même ne souhaitant pas participer à la visite de famille, elle resta à la maison. Ayant eu l’occasion de voir les jours précédents que les enfants n’avaient aucune éducation à la propreté et mangeaient comme des cochons, Élodie décida de s’adjoindre les deux bonnes, Fatou et Salimata pour faire manger les enfants à table et le plus proprement possible. Chaque femme adulte avait à côté d’elle un enfant âgé de 3 à 9 ans. Tout le monde devait vider son assiette, ce qui revient à ne pas en mettre de trop au départ et rester à table jusqu’à ce que la dernière de 3 ans ait terminé. Ce point était satisfaisant, tout comme la propreté des lieux qui n’était pas parfaite, mais loin de ce qui avait cours en général dans la maison.
Le soir venu et les parents de retour, Hortense était en train de déballer des choses à table. Élodie la vit et lui raconta, non sans une certaine fierté, qu’elle avait réussi à faire manger les enfants proprement à table. Le visage de Hortense s’éclaira. Puis Élodie poursuivit en expliquant qu’elle n’avait bien sûr pas pu réussir cet exploit toute seule et qu’elle avait adjoint une bonne à chacune des deux filles et qu’elle avait pris le garçon. En un éclair, le visage de Hortense s’assombrit, devenant même menaçant, et elle se mit à vociférer “Les bonnes ne mangent jamais avec nous à table! Cette chaise est sacrée. C’est inadmissible. Ces chaises sont nos chaises, de Lazare et moi. Les bonnes n’ont pas le droit de s’asseoir dessus. C’est comme si tu les avais invitées à coucher dans notre lit!” Et elle répétait cela plusieurs fois, totalement énervée. Élodie était choquée de la réaction et se trouvait toute penaude face à Hortense, dans les 85 à 90 kg pour 1,78m qui lui faisait la morale burkinabé pendant que son fils de 5 ans les observait.
Il avait fallu renvoyer la bonne précédente parce que Élodie, qui était déjà venue dans la famille deux ans auparavant, lui avait mis des idées d’égalité dans la tête!!! Voulant faire le bien, elle avait fait le mal. La bonne avait visiblement exigé des choses auxquelles une esclave n’a pas droit, car c’est ainsi que Élodie voyait les bonnes, des esclaves modernes, non enchaînées et recevant un petit pourboire pour tout salaire, mais des esclaves tout de même, car elles recevaient des ordres qu’elles avaient à exécuter, sans s.v.p. et sans merci! Et surtout, on leur laissait tout le travail de rangement et de nettoyage en plus de leurs travaux habituels, juste parce que enfants et adultes n’ont pas appris les règles de la propreté et du respect envers l’autre. Ces adultes sont donc constamment en contradiction avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui reconnaît l’égalité des droits à tout un chacun.
Nous avons ici le choc, non pas des cultures, mais des valeurs. Hortense est centrée en Pourpre, c’est une société dirigée par les aînés ou un chef qui prennent les décisions. Quand Élodie fit comprendre diplomatiquement à Hortense que sa façon “d’éduquer” les enfants n’était pas la bonne, elle se vit répondre que sa mère l’avait déjà fait comme ça et qu’au Burkina, cela se faisait toujours comme ça, on faisait comme les parents. Les rôles dans la famille sont distribués selon l’âge, le sexe, la femme est inférieure et soumise à l’homme et aux forces spirituelles. Les rituels et méthodes tribales sont sacrées et doivent être observées avec rigidité. Celui qui ne connaît pas les codes est exclu, considéré comme inférieur. Pour survivre, Élodie aurait dû se soumettre, mais Élodie, centrée en Jaune et qui englobe tous les autres valmèmes du premier gradin ne supporte pas les contraintes pour elle et n’accepte pas le rejet des droits de l’homme, donc de l’égalité entre tous les humains. Mais en ayant fait le grand saut, en était passé au 2e Ordre qui commence avec Jaune, elle accepte que ce soit différent pour les autres. En Pourpre, les gens de l’extérieur ne sont pas considérés comme des “gens”, ils sont de “catégorie” inférieure. Lors de son différend avec Hortense, Élodie avait bien eu ce sentiment d’être d’une catégorie inférieure à Hortense, une personne stupide qui n’aurait pas l’intelligence de comprendre ce qui est bien.
Le mari de Hortense, Lazare, a déjà fait de nombreux voyages en Europe francophone, il est donc au courant d’une bonne partie des valeurs occidentales différentes des siennes, et il sait que les blancs en Afrique mettent régulièrement les pieds dans le plat là où il ne faut pas. Il aurait donc réagi bien moins violemment, il aurait peut-être même accepté que les bonnes s’asseyent à table si personne ne le voyait et n’en parlerait. Mais lors d’un entretien séparé avec lui, Élodie avait également remarqué que ce qu’elle était en train de critiquer le menaçait dans son identité d’homme burkinabé.
Comment faire donc que des personnes qui s’apprécient par ailleurs, mais qui sont de culture de valeurs si différentes puissent travailler ensemble? Car la mauvaise option serait de ne plus se fréquenter, donc de ne plus pouvoir apprendre l’un de l’autre. La solution, c’est justement le dialogue, encore et encore, expliquer les limites des uns et des autres dans le respect de l’un et de l’autre. On ne peut que respecter les règles que l’on connaît. Si Élodie avait connu cette règle, elle se serait installée avec les bonnes et les enfants dehors, dans la cour, par terre ou autour de la table dans la cour.